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samedi 2 avril 2011

Mon blues à moi (3) : Mississippi John Hurt


Mississippi John Hurt


Né le 08 mars 1892 à Teoc, Caroll County (Mississippi)
Mort le 02 novembre 1966 à Grenada (Mississippi)


Allez ! Foin des chansons tristes, fini de se lamenter ! Passons à du blues festif, du blues de divertissement, des ritournelles faites pour animer les soirées du week-end et conter les épopées des héros populaires.

John Hurt a bien sur produit sa part de « worried blues » et de « worksongs » mais il a comme beaucoup d'autres été amené à divertir son auditoire. Il faut dire qu'avec la bouille qu'il a, arborant son p'tit galurin, moi j'ai d'emblée le boyau de la rigolade qui frénétise...

Humainement, voici un des plus attachant bluesman qui soit. Ce p'tit bonhomme est une crème. Quand je le vois, je pense Harpo des Max brothers mais en black.

Sa famille habite Avalon, bled paumé à peine signalé sur les cartes du Mississippi. Il découvre la musique très jeune et sa mère lui offre une guitare à neuf ans. Il rêve de devenir musicien et s'y emploie de toute son âme. Les vicissitudes de la vie font qu'à la mort de son père, il est obligé de travailler comme ouvrier agricole puis, très tôt, il est embauché par une compagnie de construction de chemin de fer.

Cependant, le soir et le week-end il joue de la guitare et chante dans les petits bals populaires du coin. Un violoniste blanc l'engage fin des années vingt pour remplacer son guitariste défaillant. Ce violoniste enregistre pour la maison de disque Qkeyh et le recommande auprès de celle ci. Il va alors enregistrer ses chansons en 78 tours (dont Avalon blues).

La crise de 29 arrête tout cela et voilà John Hurt reparti pour 35 ans de travail aux champs et pour la compagnie ferroviaire Il continue cependant à se produire localement avec un copain pianiste.

Vient le blues revival. Des passionnés qui connaissent les disques des bluesman des années vingt et trente se lancent à la recherche de tous ces vieux pépés. La plupart ont disparu. Mais ces gars là sont tenaces, ils réussissent à repérer la bourgade d'Avalon, y demande des nouvelles de John Hurt et finissent par tomber sur un petit bonhomme sur son tracteur qui leur répond « oui c'est moi ».

La suite sera le passage dans les concerts « American folk blues » et les enregistrements qui en résultent.

Mississippi John Hurt est de caractère plutôt casanier. Lorsqu'il travaillait loin de chez lui pour la construction du chemin de fer, il finissait par craquer et retournait cultiver sa terre en Avalon.

Malgré la célébrité foudroyante qu'il acquiert en concert et au sein du « Greenwich village » il repart près d’Avalon, s'y fait construire une nouvelle maison et y meurt paisiblement en 1969.

Je vous propose ici une vidéo de sa prestation lors du festival de Newport malheureusement écourtée pour passer Bob Dylan, le réalisateur a sans doute eu peur de la teneur des propos de John Hurt.

Car une fois n'est pas coutume, même si c'est toujours un blues, cette fois ci, ce n'est pas un chanson triste ou une clameur de désespoir. Candyman est carrément une chanson grivoise faite pour divertir et titiller l'assemblée. Ce type de chanson est courant dans le blues et l'usage de métaphores savoureuses va bon train.

Rien que le titre « homme bonbon » annonce le propos et ce qui s'en suit est encore plus explicite. Il appelle toutes les femmes à venir vers lui et leur parle d'un homme qui vient d'arriver en ville. Il les prévient de la taille de « nine inches long » du bâton de sucre d'orge qu'il leur met dans la main et qu'elle tiendront toute la nuit. Il y a même une gourmande et goulue qui est revenue le lendemain et qui lui a acheté tout son stock....

A regarder la vidéo on se demande de quel bois étaient faits les jeunes présents ce jour là. Y en pas un qui rigole, ils sont médusés... Je me doute que les chansons de garde et les paillardes que nous, français, apprécions, et que nous prenons comme partie prenante de la culture française issue de nos ménestrel et de Rabelais n'a probablement pas d'équivalent dans la culture anglo-saxonne WASP des États Unis d’Amérique de l'époque. Mais d'ici à ce que ce public savourant ce festival en prônant les « protest songs », ce même public qui sera quatre ans plus tard hippie à woodstock soit autant figé devant notre petit baladin coquin Mississippi John Hurt me laisse complètement pantois... On ressent vraiment une gène. Dieu que la chape puritaine protestante est affligeante !

Toujours est il que pour un guitariste, c'est un régal d'admirer son style de picking sautillant et alerte. Il aura beaucoup d'émules et sera très tôt étudié et divulgué. D'ailleurs John Hurt lui même n'en faisait pas une affaire et répondaient gentiment aux bambins comme Happy Traum, John Sébastien venant lui demander des conseils et lui piquer ses « licks ». Happy Traum publiera fin des années soixante les paroles et tablatures de la plupart de ses chansons.

La seconde vidéo est un blues balade « Spike Driver Blues » une des variantes innombrables qu'a suscité la légende de John henry, black hero contestataire, qu'il a du apprendre auprès de ses compères travaillant avec lui sur la ligne de chemin de fer. L'intérêt que j'y porte, outre l'affection que je démontre pour ce bluesman, est dans son jeu particulier de guitare.

Mississippi John Hurt y déploie un jeu de basses avec un pouce en béton et un tempo indestructible. C'est une des particularité de John Hurt.

Mais contrairement à Candyman ou le jeu présente tous les accords d'un blues en La, avec des digressions de solos dans les aiguës suivi de descente infernale, là, il ne bouge pas d'un iota de la position d'accord en sol majeur.

Comme c'est un des thèmes les plus populaires du blues il a du se coltiner avec cette chanson (ou une équivalente en sol) très jeune, moins expérimenté, et se faire une version plus simple en un seul accord qu'il a agrémenté de notes annexes. L'une d'elles est jouée avec le pouce (main droite) et le majeur (main gauche) pour ce mi dissonant dans la ligne de basse que l'on retrouve assez souvent dans ses blues. Les autres notes soulignent classiquement la mélodie sur les cordes aiguës avec l'index et le majeur (main droite) et index auriculaire (main gauche), l'annulaire étant indéfectiblement rivé en position d'accord sur le sol corde de basse.

Bon, à décrire textuellement c'est assez rébarbatif. Regardez la vidéo et écoutez ce blues originellement de « débutant », peaufiné dans la recherche de simplicité et d'efficacité pendant des années. Le résultat est complètement improbable et ça a l'air d'une simplicité enfantine. Mais je vous assure que c'est coton a reproduire proprement tellement ce jeu est particulier et personnel à John Hurt.

Je suppose qu'il aurait pu l'améliorer techniquement, mais il l'a gardé telle quelle, dissonante, sautillante à souhait, et certainement validée par des années de soumission au verdict d'un public de connaisseurs qu'il devait bien faire sourire avec cette version.

Ceci est une constante du jeu et des techniques des bluesmen. Chacun a ses petites manies, ses propres routines qu'il ont mis au point d'oreille pendant des années de formation autodidacte plus ou moins réussie. Et c'est inimitable, c'est un enfer à faire sonner proprement, quant à chanter les paroles dessus, on sombre aisément dans le ridicule le plus achevé.

Comme chanter du Brassens, beaucoup s'y sont frottés, très peu ont réussi. On a pu musicalement y apporter un petit plus dans la version jazz de ses airs ou même une version quatuor classique excellente (Roland Dyens, merveilleux guitariste français). Le seul qui à mon goût est vraiment réussi à faire quelque chose de ses chansons est Maxime Le forestier (écoutez la version bossa nova « A la clairefontaine » ou le blues « A l'ombre du cœur de ma mie »). D'ailleurs, il est revenu à des versions « au plus près » du maître lors de sa tournée dédiée à notre bluesman national.

Reste à savourer les rares maîtres es blues dont nous avons gardé le témoignage dans leur jus comme ce Mississippi John Hurt dont le naturel transpire la culture noire américaine et le jeu de guitare est ciselé par des années de pratique.



MISSISSIPPI JOHN HURT Lonesome Valley (1965)





Spike Driver Blues

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